››› L'introduction

››› Entretien avec Jo Macéra

››› L'introduction

Nous appellerons cet objet « projet secret de discographie éclairée pour passionnés de Désert Culturel ». Rééditions d’une large sélection choisie des productions de Désert Culturel, groupe alternatif (anarchopunk ?) de Besançon actif de 1988 à 1994. Eh ! Pourquoi pas, dites-vous ? Et pourtant, comme on aime bien que nos moyens rejoignent nos buts, on va justement détailler notre approche et notre motivation.
Cheminement anti-passéiste
Retromania, le bouquin de Simon Reynolds (Le mot et le reste, 2012), raconte la « fascination pour une époque révolue » alors qu’aujourd’hui la technique et Internet favorisent l’accès immédiat à tous types de musique et déclenchent « redites et imitations » au risque de tuer toute création. Notre démarche ici n’est pas la nostalgie d’un temps révolu et fantasmé (joliment raconté dans Les Rois du rock de Thierry Pelletier, Libertalia, 2013). Le mythe politique de l’Âge d’or, le « bon vieux temps », toujours abondamment utilisé, n’est pas d’actualité dans notre perspective libertaire. Ni remords, ni regrets, comme s’il fallait rattraper ses jeunes années, comme si nos aînés mythiques, eux, savaient y faire. C’est quoi la rébellion aujourd’hui ? Poster sur un forum pour dénoncer les points Godwin et signer des pétitions ? Hier, c’étaient les blousons noirs, les embrouilles entre rockers et mods, puis ce furent les batailles contre les skins fafs (« idéalement » racontées dans le documentaire Chasseurs de skins), maintenant c’est la racaille des técis (vous inquiétez pas, ça va devenir légendaire bientôt !). C’étaient la violence fascinante, la musique radicale, véhicule des émotions, le phénomène de bande, une culture passée sur laquelle on peut se raccrocher. Puis on entend parler de la société en perte de valeurs, qui part en vrille, il n’y a plus d’autorité, ma bonne Dame. Alors, on se tourne vers le passé qui savait vivre avec moralité, classe et authenticité...
Absence d’autorité ? On prend !
Pour la suite, on pourrait parler longtemps du capitalisme, qui justement contribue à la perte d’authenticité (avec l’avalanche de produits standardisés), qui détourne tous liens et solidarités de notre société (pour mieux les marchandiser), qui nous veut consommateurs insatisfaits dans l’achat permanent. Soit, ce n’est pas un état d’avant que nous voulons retrouver, mais nous rêvons d’un changement radical de cette société, pour qu’elle devienne anticapitaliste, antifasciste et surtout antipatriarcale.
Formation culturelle
Vu sous cet angle, nous ne participons pas à un quelconque revival, pour relancer des modes marketing sur un cycle de vie de produit musical. Loin de là, ce projet est relié directement à notre identité, notre histoire, nos valeurs. C’est au cours de nos rencontres et de nos discussions qu’est apparu un vecteur commun dans l’aventure trépidante de nos vies : le croisement avec les productions sonores de Désert Culturel.
Un groupe, parmi une multitude, qui a pourtant révélé et illuminé une approche de ce qui fait sens. Chacun de nous a eu une expérience particulière lors de l’écoute de ce groupe. Pourquoi ce groupe ? Était-il spécifique, particulier, différent ? Quelle envergure a-t-il eu dans notre construction, musicale, personnelle, culturelle, politique, militante ? Pourquoi est-ce une référence qui nous décrit ? Si la suggestion d’une discographie est partie d’une passion commune, motivation par excellence, elle sera aussi l’occasion d’explorer notre rapport avec la sphère musicale, fan de musique bruitiste irrévérencieuse alternative révoltée, punk is dead, vive les zombies !
Pour ce faire, nous avons mis au point deux méthodes de prospection. La première méthode, classique dans le monde du fanzinat, a consisté à poser des questions à ceux qui étaient réceptifs à notre engouement pour Désert Culturel, un petit nombre de bénévoles rapatriés par le bouche à oreille, enthousiasmés par le projet – qu’elles/ils en soient chaleureusement félicité-es ! – et qui ont déposé à temps leur contribution.
La deuxième méthode a été l’écriture respective d’un petit texte pour récupérer nos expressions/impressions fondées sur l’écoute assidue de Désert Culturel, comment l’existence même du groupe a agi en tant que repères dans nos histoires, dans la constitution de notre identité, dans l’établissement de nos savoirs et nos croyances.
Au final, il en ressort des tranches de vie, anecdotes ou rencontres marquantes, un ensemble d’aléas de ce qui fait une vie, vu au travers de la grille de lecture Désert Culturel.
Rencontre circonstancielle
Pour élargir la portée de l’objet que vous tenez entre les mains, il faut lui donner aussi la pleine dimension humaine liée à nos rencontres, discussions et réunions, échanges d’idées, partage de façons de faire et de créer.
Un point de départ du projet s’est fait autour du fanzine à bords perdus avec l’interview de Jo, chanteur de Désert Culturel.
Concomitance d’envies souterraines intergénérationnelles, il aura été l’occasion de mieux se découvrir, de renforcer nos liens, développer un affinitaire pour un futur toujours plus révolutionnaire ! Ioukaïdi ioukaïda !




››› Entretien avec JO MACERA


Interview publiée pour la première fois dans
le fanzine
À bords perdus numéro 2, 2011.
Cette interview a été motivée par la rencontre à la fois récente et inopinée avec Désert Culturel. C’est quoi ce truc-là ?
Je suis surpris de savoir qu’on trouve encore de telles antiquités, mais ça me fait plaisir. Ce truc-là c’était notre groupe avec deux potes, Steph et Rabin. Nous avons tourné presque du début à la fin avec un sonorisateur qui s’appelle Wisk, on peut dire qu’il était le quatrième membre du groupe même si ça n’a jamais été formulé comme ça. Aujourd’hui Rabin bosse dans le bâtiment (à la frontière du bâtiment et de l’immobilier, il fait des plans et va jusqu’à la maîtrise d’ouvrage) et ne fait plus de musique, Steph et moi-même jouons toujours ensemble (ça fait donc vingt ans !), Wisk est toujours technicien du spectacle (Steph et moi aussi du reste). Nous avons fait environ 350 concert en France, en Italie, au Pays basque et en Espagne. Nous avons commencé à tourner à l’âge de 17-18 ans dans un certain nombre de véhicules improbables. C’était une période assez dense et je ne me souviens certainement pas de tout si ce n’est qu’on a bien rigolé et vécu des moments forts.
« Rock radikal », « hc punkrockskaraimetalfolk ». C’était donc tout ça à la fois votre musique ?
Les étiquettes sont à la mode depuis si longtemps... Celle-ci se voulait juste drôle. La musique que nous pratiquions était tout simplement du punk-rock avec un son saturé sur presque tous les morceaux et les textes que j’écrivais avaient une tendance engagée sur des thèmes touchant aux discriminations en général. On ne peut pas dire que ce que j’écrivais était très positif mais c’est sans doute une question d’âge et de point de vue. Le mieux est toujours d’écouter pour se faire une opinion.
Avec quels groupes étiez-vous en contact ? Avec lesquels jouiez-vous ? Est-ce que vous évoluiez dans une « scène » spécifique ?
Sans doute, oui. Nous étions regroupés (et donc en quelque sorte catalogués) autour du label On a faim ! avec d’autres groupes de la même mouvance comme Un Dolor, Les Have Nots, Kochise, Original Disease. C’était un label aux consonances fortement anarchistes qui a toujours été très productif et qui a produit un nombre important de compilations et d’albums en essayant de les diffuser nationalement. En tout cas ils nous ont permis de sortir deux albums et de figurer sur nombre de compilations, ce fut une chance pour nous.
Lors des concerts nous retrouvions régulièrement d’autres groupes dans le même genre, de mémoire je peux citer AJTCK, Psycho Squatt, Légitime Défonce, Skinny Boys, Kracha Foutra, Kotzen, Heyoka mais j’en oublie des tas... Les « grands frères » de l’époque avec lesquels nous avons eu le bonheur de faire parfois la première partie s’appelaient BXN, Les Rats, Parabellum, Haine Brigade, La Souris Déglinguée, etc. pour ceux d’ici et on écoutait ou on allait voir Scream, Minor Threat, Dead Kennedys, DI, DOA, Government Issue, Verbal Assault, Fugazi, Excel, Suicidal Tendancies, Slayer, Metallica et j’en oublie aussi beaucoup. Je dois dire que je n’écoute plus ou très rarement ce genre de musique.
À l’heure où Internet n’existait pas, j’imagine que les contacts ne se créaient pas aussi facilement et rapidement. Est-ce que vous en aviez beaucoup à l’échelle nationale/européenne ?
C’est vrai que l’apparition d’Internet a fortement changé la façon de travailler et facilité les échanges. Tout se passait et se faisait par téléphone ou par courrier. J’ai souvenir d’avoir passé des nuits blanches à répondre à du courrier. Même si aujourd’hui ça peut paraître fastidieux, ça nous donnait aussi l’impression de faire partie d’un mouvement proche de la guérilla. C’était valorisant et excitant et c’est sans doute un aspect qui était important dans nos motivations. D’autant plus qu’à l’époque 95 % des concerts étaient des concerts de soutien destinés à rassembler des fonds pour des comités de soutien à des prisonniers politiques, des groupes antifascistes ou même des mouvements impliqués dans des luttes de libération nationale. Il est fort probable que notre naïveté et notre « élan » nous a conduit à maintes reprises à traverser la France en camion pour 500 balles et pour renflouer des organisateurs véreux (les concerts de punk-rock « engagé » étaient particulièrement à la mode) ou des portes flingues affairistes (Herri Batasuna par exemple) mais cela nous a également permis de rencontrer des gens qui étaient très investis dans des causes parfois démesurées mais qu’ils croyaient justes (des autonomes, des squatteurs, des résistants au FN). Et puis dans tout ce fatras de grands idéaux et de petites chapelles, nous avons aussi rencontré des gens chouettes, tout simplement, et ce n’étaient pas forcément les plus bavards.
L’évolution musicale entre la démo et le dernier album est plus que flagrante. Dans vos interviews d’époque, on peut y lire que le son très clair, très net, le chant clairement audible (et donc les paroles compréhensibles à la première écoute) étaient des choses délibérées. Pourquoi ça ? Vous aviez envie de sortir de la scène dans laquelle vous évoluiez en ayant un son plus clair, plus « accessible » ?
Non, c’est plutôt un accident en ce qui concerne le son. La prise de son guitare a été faite de manière un peu foireuse ce qui donne un son beaucoup moins gras que la réalité d’un ampli Marshall 100 W et d’une Gibson mais il était trop tard pour tout refaire (le studio coûte cher) et c’est vrai que la compréhension des textes nous importait. Au final et malgré ce petit problème de micro, nous étions contents de cet album qui était d’ailleurs annoncé comme étant le dernier. Le son le plus cohérent que nous avons jamais enregistré (le plus proche du son live) est celui du 45T avec les Skinny Boys.
Dans votre discographie, on remarque ce split avec Skinny Boys. Et dans le livret, on dénombre tout plein de participations diverses et variées. La communication c’était important pour vous ? Et maintenant, est-ce que tu cherches toujours à briser la barrière musiciens/public ou ne serait-ce que provoquer un échange ?
Le livret d’un 45T, surtout lorsqu’il est auto-produit, est l’occasion de citer ou de faire connaître un tas de gens et nous n’étions pas avares d’informations. Je ne crois pas qu’il y ait une barrière entre les musiciens et le public, juste des conventions de fonctionnement qui ne sont pas toujours défendables au nom du bon sens, la chose qui me semble la plus importante de part et d’autre est le respect. Dans ce sens je crois avoir toujours la même attitude sur le plan professionnel qu’il s’agisse de théâtre, de spectacle de rue, de cirque ou de musique, de technique ou d’artistique.
En plus de cette communication dont vous aviez l’air friands, on remarque à certains moment une envie d’internationalisation. Vous avez donc tourné en Allemagne me semble-t-il. Est-ce que vous êtes allés dans d’autres pays encore ? Comment s’était montée cette tournée ? Dans quels types de lieux jouiez-vous ?
Nous n’avons malheureusement jamais tourné en Allemagne mais en Italie, au Pays Basque, en Espagne et en Suisse. Dans des squats presque exclusivement. La tournée dans les squats Italiens (à Rome, Naples, Florence et Turin) s’est montée grâce à On a faim ! et les gens de la revue Reflex(es), nous sommes d’ailleurs partis avec le camion de Reflex (Réseau d’études, de formation et de liaison contre l’extrême-droite et la xénophobie). J’ai écrit une sorte de « chronique » de cette tournée dans un numéro du zine On a faim ! mais je ne me rappelle absolument pas lequel.
Et en France, quels étaient les endroits dans lesquels on vous faisait jouer ?
Souvent dans des squats mais aussi des festivals, des bars, des salles de concert, des locaux associatifs. Nous avons malgré tout été plus souvent dans des lieux dits « underground » mais ce n’était pas forcément un choix, nous jouions là où les gens nous demandaient.
Vous repreniez des chansons de groupes étrangers sur scène (Government Issue, Dead Kennedys, etc.). Ça vous semblait important de montrer vos influences de cette manière-là ?
Bien sûr. Notre (relative) indigence musicale et une formule en trio ne nous permettait pas d’aller franchement dans le métal mais c’est résolument de ce coté-là que notre cœur penchait, le hardcore était un bon compromis, un punk-rock influençait le résultat.
Et vous jouiez aussi un chant traditionnel Irlandais The Foggy Dew. Pourquoi ça ? De quoi parle-t-elle ?
Il s’agit d’un chant nationaliste irlandais attribué à Peadar Kearney (l’auteur de l’un des hymnes de la république d’Irlande) et à Canon Charles O’Neill. Il raconte une bataille de 1916 et encourage les Irlandais à se battre pour leur liberté plutôt que pour les Anglais (et c’était le cas de nombreux jeunes Irlandais enrôlés dans l’armée anglaise pendant la Première Guerre mondiale).
J’ai toujours développé un intérêt particulier pour l’Irlande et son histoire. Certains personnages m’ont fasciné depuis l’âge de treize ans comme Michael Collins. Je conseille vivement sa biographie même si ma fascination pour l’IRA s’est tout à fait dissipée à sa lecture il y a donc fort longtemps. Il y a un auteur Irlandais actuel dont j’ai dévoré les bouquins, il s’appelle Column Mac Cann.
D’ailleurs, la musique irlandaise semble avoir une grande influence sur toi.
Je ne pratique plus que des musiques traditionnelles (avec une énergie qui est cependant toujours la même que dans le punk-rock), irlandaise et tzigane en l’occurrence. J’aimais déjà ces musiques à l’époque de Désert Culturel mais je ne les pratiquais pas vraiment. J’ai vraiment commencé à travailler la guitare en faisant du jazz manouche avec un pote nommé Stéphane Neidhardt qui est un passionné de Django et avec un musicien strasbourgeois qui s’appelle Mandino Reinhardt, il y a environ dix ans. C’est ce que je dirai à ma plus grande fille de dix ans qui fait de la guitare classique quand elle voudra monter un groupe de rock : fais-le si ça t’amuse mais si tu veux bosser ton instrument, continue le classique et le flamenco.
À ce propos, tu joues dans un groupe de musique traditionnelle irlandaise si je ne m’abuse.
Tout à fait, Blackwater est un groupe qui a une dizaine d’années d’existence et que j’ai intégré il y a six ans. Nous enregistrons actuellement notre quatrième album et effectuons entre 50 et 70 concerts par an. Dans Blackwater je chante et je joue d’un instrument « inventé » pour le groupe et qui s’appelle le ponpon (quatre cordes seulement), c’est une sorte d’hybride entre le banjo, le bouzouki et la guitare et c’est un copain musicien de Spakr et luthier de talent qui l’a réalisé, il s’appelle Hervé Prudent.
Tant qu’on y est à parler de tes groupes actuels, pourquoi est-ce que tu ne nous en dirais pas un peu plus sur Spakr ?
Spakr est une histoire d’amitié et de musique qui dure depuis douze ans. Nous avons enregistré trois albums à ce jour. Nous sommes six sur scène et jouons de quatorze instruments, la base musicale du groupe se compose d’une contrebasse, d’une guitare, d’un violon, d’un accordéon, d’un saxophone et d’un cajon sur laquelle viennent se greffer un deuxième violon, une clarinette, un saz, un spakr (quatre cordes nylon sur une boîte de Mont d’Or), différentes darboukas, une sanza, un duf, etc. Nous chantons parfois les six. Nous revisitons à notre sauce des thèmes et des chansons traditionnelles tziganes et yiddish. Nous définissons notre activité hebdomadaire par « musique d’inspiration yiddish et tzigane ». Nous composons les trois quarts de notre répertoire actuel. Les chansons sont écrites par Hélène (la violoniste) ou par moi. Ce sont des textes d’abord écrits en français puis traduits en croate, yiddish, serbe, russe, arabe littéral, romani, manouche, roumain, hébreu et nos prononciations sont corrigées pour être intelligibles. Cette histoire m’a permis de développer une technique de phonétique assez performante pour chanter dans une dizaine de langues différentes et pour acquérir des notions de base me permettant d’avoir des petites conversations dans certaines. C’est assez prenant mais tout aussi passionnant.
Spakr participe à un spectacle nommé Le Cabaret tzigane que j’ai monté en 2002 avec des amis circassiens et techniciens avec qui j’ai acheté et remis en état un chapiteau de mille places en 2000. C’est un spectacle à la frontière du cirque, du théâtre de rue et du concert dans lequel sont aussi impliqués une fanfare, un groupe berbère et de nombreux artistes de rue ou de cirque... au total environ 70 personnes. Nous avons une jauge de 1200 personnes par soir (nous ouvrons les portes du site à 19 heures et les fermons vers 3 heures) et nous occupons avec le campement la surface d’un terrain de foot. C’est une aventure dont je suis très fier, dans laquelle ma famille est impliquée et qui se jouera probablement la prochaine fois à Bourg-en-Bresse les 30 et 31 mai 2009. Quoi qu’il en soit les infos éventuelles sont sur www.spakr.com
Comment on en arrive à jouer dans deux groupes comme ceux-ci avec un passif punk-hardcore ?
Il y a un proverbe gitan qui dit: « Là où va l’aiguille, le fil est sûr de suivre », et un autre qui dit: « Les merdes d’oiseaux ne tombent jamais deux fois au même endroit. » J’imagine que c’est une évolution qui me correspond même si je ne renie rien. Je ne vois pas les choses sous le même angle qu’à l’époque et je ne fais pas les mêmes choses. Mes priorités sont différentes. Cela dit il m’arrive encore de temps en temps de prendre une guitare électrique à des potes en concert en toute fin de soirée mais pour cela j’ai besoin d’avoir au moins un gramme cinq d’alcool dans le sang et d’y être invité.
Vous vous considériez comment avec Désert Culturel à l’époque ? DIY ? Indépendants ? Radicaux ?
Je ne sais pas ce que signifie DIY, indépendants certainement, radicaux ça dépend pour qui.
Nous ne nous considérions pas autrement que comme des gens qui avaient envie de s’exprimer et à ce moment-là notre mode d’expression était le rock’n’roll.
Vous étiez distribués par New Rose, aviez un code barre, ce qui pour moi ne correspond pas tout à fait à l’idée que je me fais du DIY. Si jamais vous aviez eu l’opportunité de signer sur un plus gros label vous l’auriez fait ou vous étiez tout de même farouchement attachés à tout faire avec vos potes de On a faim ?
Je ne sais toujours pas ce que veut dire DIY. Pour répondre à ta question, je ne sais pas, en tout cas cela ne s’est pas produit. Je pense que nous étions suffisamment impliqués avec On a faim ! pour ne pas avoir envie de fonctionner avec d’autres. Au final, lorsque Rabin a décidé d’arrêter le groupe et que l’album est sorti, j’ai été pris par un très vif agacement vis-à-vis de toute la mouvance militante, musicale ou autre. Cela s’est traduit grosso modo par un black-out du jour au lendemain et tu es sans doute le premier contact que j’aie eu avec cette mouvance depuis ce temps-là. Je regrette juste d’avoir coupé les liens avec les gens de On a faim ! et deux-trois potes de l’époque, mais je me dis que je finirai bien par les recroiser avant de passer définitivement en mode confiture.
Avec Spakr, vous pratiquez de nouveau l’autoproduction. Choix délibéré ou nécessité ?
Nous avons été référencés à la Fnac pendant environ un an avec le deuxième album ce qui a représenté la vente d’environ 2500 exemplaires. Nous avions un contrat nous liant avec un producteur qui est décédé depuis et qui n’a jamais rempli les cases lui permettant d’accéder au statut d’éditeur. Nous ne le savions pas et les distributeurs nous ont dit que nous n’avions pas d’existence contractuelle vis-à-vis d’eux. Quand tu te prends l’équivalent des royalties sur 2500 albums vendus dans le cul tu te dis premièrement qu’il faut apprendre à négocier correctement avec ce genre d’en...treprises et, deuxièmement, que le temps de réviser tes notions de propriété intellectuelle on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, fin du bal. Tout ça n’est pas bien grave et quand bien même nous avons été parfaitement blaireaux sur ce coup-là, nous ne faisons pas partie de ce groupe pour nous acheter des piscines (ça serait plutôt des sacs de ciment ou du parquet flottant dont la plupart d’entre nous aurait besoin en ce moment) mais on ne nous la fera pas deux fois.
Et comment c’était le passage à France Inter ?Dans quelles conditions ça s’est fait ? Est-ce que tu crois que tu l’aurais fait avec Tresed Leretluc ?
Tu parles sans doutes de l’émission Le Fou du roi avec Blackwater... C’était très bien même si l’impression de faire neuf heures de camion pour quatre minutes d’antenne est une chose très particulière. Ce passage nous a fait connaître par beaucoup de gens et fut d’un impact indéniable. C’est assez intimidant parce qu’une fois les balances faites on t’appelle trente secondes avant le morceau et il faut envoyer direct mais l’expérience est sympa, toute ta famille te téléphone dans la demi-heure qui suit, ma grand-mère était contente, moi aussi.
Si on nous l’avait proposé du temps de Désert, ce dont je doute fort, je pense que nous y serions allés, bien entendu. Je ne peux peut-être pas en dire autant pour Fun Radio mais il y avait encore moins de chances pour que ça se produise...
À côté de vos albums distribués dans un circuit très classique et pas tout à fait « hors marchés » (d’ailleurs il existait le circuit des petites distros DIY-non profit comme il pullule aujourd’hui ?), vous sortiez aussi pas mal de k7 live (et autres). Pourquoi ? Tiens, oui, pourquoi ?
Les K7 live sortaient parfois toutes seules et parfois les gens avaient la politesse de nous demander l’autorisation avant... Quoi qu’il en soit nous n’avons jamais refusé ni sorti le fusil.
À des compilations de soutien à quelques luttes vous participiez aussi. La musique, c’est politique ?
La politique, c’est comme la soupe au potiron, ça n’a pas le même goût quand tu l’achètes en sachet et quand tu fais pousser les légumes dans ton propre jardin. Je n’ai pas grand-chose de significatif à dire de plus sur le sujet.
Un autre aspect de Désert Culturel, c’est le côté théâtral. Les pochettes, avec les références flagrantes à la comedia dell’arte, les textes me faisant parfois penser à de longs monologues… c’est un truc qui vous tenait à cœur ?
Oui, la plupart des textes de Désert étaient précisément écrits comme la parole d’un personnage particulier, différent à chaque chanson. Le logo de Désert était un masque de Brighella qui est pratiquement le seul personnage ou caractère ambivalent dans la comedia dell’arte (gentil, naif, héros par accident ou foncièrement méchant).
J’ai cru comprendre que tu étais impliqué là-dedans en ce moment. Tu fais quoi exactement ? Sur quelle(s) pièce(s) travailles-tu ?
Je suis impliqué dans le spectacle vivant depuis 20 ans avec une prépondérance dans les arts de la rue. Je suis technicien du spectacle, régisseur général, régisseur plateau, rigger, cariste, monteur de chap, metteur en scène ou en rue, scaff, machiniste, electro, etc. Je bosse pour des scènes nationales, des CDN, des communes, des salles, des compagnies (Transe Express mais j’ai arrêté, Tricyclic Doll, Les bains douches, etc.), des festivals (Chalon dans la rue depuis 1993, notamment) et des structures dans lesquelles je suis impliqué (Les Baltringues, L’Étoile cirée, Le Cabaret tzigane). C’est mon boulot, avec la musique.
Les textes des paroles étaient ‘achement bien écrits, engagés et enragés, conscients, imagés tout en restant percutants et directs comme un coup de poing, ouch ! C’est quoi le secret de paroles réussies ?
Merci beaucoup pour ces compliments, c’est très gentil mais je ne suis pas sûr de les mériter. Je ne sais pas quoi répondre si ce n’est que d’innombrables très belles chansons ont été écrites et qu’une vie ne suffit sans doute pas à les écouter toutes. Rester curieux, écouter, voir, lire, beaucoup, tout le temps.
Et quand tu t’adressais directement à l’auditoire via ces paroles, c’était pour provoquer des réactions ?
Pas nécessairement, non. Lorsque tu choisis un mode d’expression avec conviction, tu ne le fais pas pour plaire ou pour provoquer quoi que ce soit, ça fait partie intégrante de ton fonctionnement, pour le meilleur et pour le pire. En ce qui me concerne, le chant (même si en réécoutant ça je suis content du chemin parcouru depuis) et la gratte ont une dimension physique sur scène et en studio qui agissent comme une drogue, à ceci près que je ne me drogue pas au-delà du pétard, de la bouffe, de l’amour et du travail. Je fais des choses que j’aime assez souvent et je considère que c’est un cadeau de la vie.
Aujourd’hui, quel regard portes-tu sur cette époque ? Sur cette période de ta vie ? Qu’est-ce que tu as pu en retirer ?
Des moments magiques, des bonnes galères, des sourires, des bonnes cuites, des tas de gens excellents et des brouettes de cons (comme dans n’importe quelle sphère), des pratiques, des réflexes, de l’expérience. Je ne ferais pas les mêmes choses aujourd’hui mais avant de connaître certains raccourcis il faut prendre la route des touristes. C’était bien, je ne juge pas négativement cette période et je n’ai aucune rancune.
Qu’est-ce qui t’a poussé à quitter cette « scène »-là ? Marre ?
Oui. Vraiment. Ce qui m’a permis de ne pas sombrer dans la parano ou le cynisme c’est de bosser avec des gens de cirque ou de la rue pendant une dizaine d’années. J’avais de l’énergie et j’avais côtoyé trop de grandes gueules, j’ai définitivement épousé la route, la ferraille, les chaps, les camions, les projets de longue haleine, les silences, ces saloperies de chevaux, l’amour du travail bien fait, le respect de la parole donnée, le partage de l’effort. J’ai eu deux mômes splendides, j’ai un taf qui m’emmène sur les routes les deux tiers de l’année et qui me permet de ne pas voir les mêmes tronches tous les jours, de perdre ou de prendre dix kilos selon les chantiers, de vivre en vrai.
C’est pas toujours simple, mais j’arrive à avoir une vraie famille et c’est plus important de réussir ça que d’avoir de grands idéaux. Je ne voterai jamais mais je ne laisserai jamais mes proches dans la mouise. C’est un choix qui se défend.
Mais le plus important, ce sont bien les idées, non ?
Non, les idées ne suffisent certainement pas. On te jugera toujours sur des actes et tu te jugeras toujours toi-même au final sur tes accomplissements, petits ou grands.
Et les deux autres loulous, tu les vois toujours ?
Oui, très régulièrement.
Bon bin voilà… finito, over, fini. Et last but not least, dis tout ce que tu veux, quelle que soit la place que ça prendra !
Merci à toi pour ton intérêt, c’était touchant de replonger dans cette époque.
Au plaisir de te croiser sur la route. Taves baxtalo.