››› L'introduction
›››
Entretien avec Jo
Macéra
›››
L'introduction
Nous appellerons cet objet « projet secret de
discographie éclairée pour passionnés
de Désert Culturel ».
Rééditions d’une large
sélection choisie des productions de Désert
Culturel, groupe alternatif (anarchopunk ?) de
Besançon actif de 1988
à 1994. Eh ! Pourquoi pas, dites-vous ? Et
pourtant, comme on aime bien que nos moyens rejoignent nos buts, on va
justement détailler notre approche et notre motivation.
Cheminement
anti-passéiste
Retromania, le bouquin de Simon Reynolds (Le mot et le
reste, 2012),
raconte la « fascination pour une époque
révolue » alors
qu’aujourd’hui la technique et Internet favorisent
l’accès immédiat à tous
types de musique et déclenchent « redites
et imitations » au risque de tuer toute
création. Notre démarche ici n’est pas
la nostalgie
d’un temps révolu et
fantasmé (joliment raconté dans Les Rois du rock
de Thierry Pelletier, Libertalia, 2013). Le mythe politique de
l’Âge d’or, le « bon
vieux temps », toujours abondamment
utilisé, n’est pas
d’actualité dans notre perspective libertaire. Ni
remords, ni regrets, comme s’il fallait rattraper ses jeunes
années, comme si nos aînés mythiques,
eux, savaient y faire. C’est quoi la rébellion
aujourd’hui ? Poster sur un forum pour
dénoncer les points Godwin et signer des
pétitions ? Hier, c’étaient
les blousons noirs, les embrouilles entre rockers et mods, puis ce
furent les batailles contre les skins fafs
(« idéalement »
racontées dans le documentaire Chasseurs de skins),
maintenant c’est la racaille des técis (vous
inquiétez pas, ça va devenir
légendaire bientôt !).
C’étaient la violence fascinante, la musique
radicale, véhicule des émotions, le
phénomène de bande, une culture passée
sur laquelle on peut se raccrocher. Puis on entend parler de la
société en perte de valeurs, qui part en vrille,
il n’y a plus d’autorité, ma bonne Dame.
Alors, on se tourne vers le passé qui savait vivre avec
moralité, classe et authenticité...
Absence
d’autorité ? On prend !
Pour la suite, on pourrait parler longtemps du
capitalisme, qui
justement contribue à la perte
d’authenticité (avec l’avalanche de
produits standardisés), qui détourne tous liens
et solidarités de notre société (pour
mieux les marchandiser), qui nous veut consommateurs insatisfaits dans
l’achat permanent. Soit, ce n’est pas un
état d’avant que nous voulons retrouver, mais nous
rêvons d’un changement radical de cette
société, pour qu’elle devienne
anticapitaliste, antifasciste et surtout antipatriarcale.
Formation
culturelle
Vu sous cet angle, nous ne participons pas à un
quelconque
revival, pour relancer des modes marketing sur un cycle de vie de
produit musical. Loin de là, ce projet est relié
directement à notre identité, notre histoire, nos
valeurs. C’est au cours de nos rencontres et de nos
discussions qu’est apparu un vecteur commun dans
l’aventure trépidante de nos vies : le
croisement avec les productions sonores de Désert Culturel.
Un groupe, parmi une multitude, qui a pourtant
révélé et illuminé une
approche de ce qui fait sens. Chacun de nous a eu une
expérience particulière lors de
l’écoute de ce groupe. Pourquoi ce
groupe ? Était-il spécifique,
particulier, différent ? Quelle envergure a-t-il eu
dans notre construction, musicale, personnelle, culturelle, politique,
militante ? Pourquoi est-ce une
référence qui nous décrit ?
Si la suggestion d’une discographie est partie
d’une passion commune, motivation par excellence, elle sera
aussi l’occasion d’explorer notre rapport avec la
sphère musicale, fan de musique bruitiste
irrévérencieuse alternative
révoltée, punk is dead, vive les
zombies !
Pour ce faire, nous avons mis au point deux méthodes de
prospection. La première méthode, classique dans
le monde du fanzinat, a consisté à poser des
questions à ceux qui étaient réceptifs
à notre engouement pour Désert Culturel, un petit
nombre de bénévoles rapatriés par le
bouche à oreille, enthousiasmés par le projet
– qu’elles/ils en soient chaleureusement
félicité-es ! – et qui ont
déposé à temps leur contribution.
La deuxième méthode a été
l’écriture respective d’un petit texte
pour récupérer nos expressions/impressions
fondées sur l’écoute assidue de
Désert Culturel, comment l’existence
même du groupe a agi en tant que repères dans nos
histoires, dans la constitution de notre identité, dans
l’établissement de nos savoirs et nos croyances.
Au final, il en ressort des tranches de vie, anecdotes ou rencontres
marquantes, un ensemble d’aléas de ce qui fait une
vie, vu au travers de la grille de lecture Désert Culturel.
Rencontre
circonstancielle
Pour élargir la portée de l’objet
que
vous tenez entre les mains, il faut lui donner aussi la pleine
dimension humaine liée à nos rencontres,
discussions et réunions, échanges
d’idées, partage de façons de faire et
de créer.
Un point de départ du projet s’est fait autour du
fanzine à bords perdus avec l’interview de Jo,
chanteur de Désert Culturel.
Concomitance d’envies souterraines
intergénérationnelles, il aura
été l’occasion de mieux se
découvrir, de renforcer nos liens, développer un
affinitaire pour un futur toujours plus
révolutionnaire ! Ioukaïdi
ioukaïda !
››› Entretien avec JO MACERA
Interview publiée pour la première fois dans
le fanzine À bords perdus numéro 2, 2011.
Cette interview a
été
motivée par la
rencontre à la fois récente et
inopinée avec Désert Culturel. C’est
quoi ce truc-là ?
Je suis
surpris de savoir qu’on trouve encore de telles
antiquités, mais ça me fait plaisir. Ce
truc-là c’était notre groupe avec deux
potes, Steph et Rabin. Nous avons tourné presque du
début à la fin avec un sonorisateur qui
s’appelle Wisk, on peut dire qu’il était
le quatrième membre du groupe même si
ça n’a jamais été
formulé comme ça. Aujourd’hui Rabin
bosse dans le bâtiment (à la frontière
du bâtiment et de l’immobilier, il fait des plans
et va jusqu’à la maîtrise
d’ouvrage) et ne fait plus de musique, Steph et
moi-même jouons toujours ensemble (ça fait donc
vingt ans !), Wisk est toujours technicien du spectacle (Steph
et moi aussi du reste). Nous avons fait environ 350 concert en France,
en Italie, au Pays basque et en Espagne. Nous avons commencé
à tourner à l’âge de 17-18
ans dans un certain nombre de véhicules improbables.
C’était une période assez dense et je
ne me souviens certainement pas de tout si ce n’est
qu’on a bien rigolé et vécu des moments
forts.
« Rock
radikal »,
« hc punkrockskaraimetalfolk ».
C’était donc tout ça à la
fois votre musique ?
Les
étiquettes sont à la mode depuis si
longtemps... Celle-ci se voulait juste drôle. La musique que
nous pratiquions était tout simplement du punk-rock avec un
son saturé sur presque tous les morceaux et les textes que
j’écrivais avaient une tendance engagée
sur des thèmes touchant aux discriminations en
général. On ne peut pas dire que ce que
j’écrivais était très
positif mais c’est sans doute une question
d’âge et de point de vue. Le mieux est toujours
d’écouter pour se faire une opinion.
Avec quels groupes
étiez-vous en
contact ? Avec
lesquels jouiez-vous ? Est-ce que vous évoluiez
dans une « scène »
spécifique ?
Sans doute,
oui. Nous étions regroupés (et donc
en quelque sorte catalogués) autour du label On a
faim ! avec d’autres groupes de la même
mouvance comme Un Dolor, Les Have Nots, Kochise, Original Disease.
C’était un label aux consonances fortement
anarchistes qui a toujours été très
productif et qui a produit un nombre important de compilations et
d’albums en essayant de les diffuser nationalement. En tout
cas ils nous ont permis de sortir deux albums et de figurer sur nombre
de compilations, ce fut une chance pour nous.
Lors des concerts nous retrouvions régulièrement
d’autres groupes dans le même genre, de
mémoire je peux citer AJTCK, Psycho Squatt,
Légitime Défonce, Skinny Boys, Kracha Foutra,
Kotzen, Heyoka mais j’en oublie des tas... Les
« grands frères » de
l’époque avec lesquels nous avons eu le bonheur de
faire parfois la première partie s’appelaient BXN,
Les Rats, Parabellum, Haine Brigade, La Souris
Déglinguée, etc. pour ceux d’ici et on
écoutait ou on allait voir Scream, Minor Threat, Dead
Kennedys, DI, DOA, Government Issue, Verbal Assault, Fugazi, Excel,
Suicidal Tendancies, Slayer, Metallica et j’en oublie aussi
beaucoup. Je dois dire que je n’écoute plus ou
très rarement ce genre de musique.
À
l’heure
où Internet
n’existait pas, j’imagine que les contacts ne se
créaient pas aussi facilement et rapidement. Est-ce que vous
en aviez beaucoup à l’échelle
nationale/européenne ?
C’est
vrai que l’apparition d’Internet a
fortement changé la façon de travailler et
facilité les échanges. Tout se passait et se
faisait par téléphone ou par courrier.
J’ai souvenir d’avoir passé des nuits
blanches à répondre à du courrier.
Même si aujourd’hui ça peut
paraître fastidieux, ça nous donnait aussi
l’impression de faire partie d’un mouvement proche
de la guérilla. C’était valorisant et
excitant et c’est sans doute un aspect qui était
important dans nos motivations. D’autant plus
qu’à l’époque 95 %
des concerts étaient des concerts de soutien
destinés à rassembler des fonds pour des
comités de soutien à des prisonniers politiques,
des groupes antifascistes ou même des mouvements
impliqués dans des luttes de libération
nationale. Il est fort probable que notre naïveté
et notre « élan » nous
a conduit à maintes reprises à traverser la
France en camion pour 500 balles et pour renflouer des organisateurs
véreux (les concerts de punk-rock
« engagé »
étaient particulièrement à la mode) ou
des portes flingues affairistes (Herri Batasuna par exemple) mais cela
nous a également permis de rencontrer des gens qui
étaient très investis dans des causes parfois
démesurées mais qu’ils croyaient justes
(des autonomes, des squatteurs, des résistants au FN). Et
puis dans tout ce fatras de grands idéaux et de petites
chapelles, nous avons aussi rencontré des gens chouettes,
tout simplement, et ce n’étaient pas
forcément les plus bavards.
L’évolution
musicale
entre la démo et
le dernier album est plus que flagrante. Dans vos interviews
d’époque, on peut y lire que le son
très clair, très net, le chant clairement audible
(et donc les paroles compréhensibles à la
première écoute) étaient des choses
délibérées. Pourquoi
ça ? Vous aviez envie de sortir de la
scène dans laquelle vous évoluiez en ayant un son
plus clair, plus
« accessible » ?
Non,
c’est plutôt un accident en ce qui concerne le
son. La prise de son guitare a été faite de
manière un peu foireuse ce qui donne un son beaucoup moins
gras que la réalité d’un ampli Marshall
100 W et d’une Gibson mais il était trop tard pour
tout refaire (le studio coûte cher) et c’est vrai
que la compréhension des textes nous importait. Au final et
malgré ce petit problème de micro, nous
étions contents de cet album qui était
d’ailleurs annoncé comme étant le
dernier. Le son le plus cohérent que nous avons jamais
enregistré (le plus proche du son live) est celui du 45T
avec les Skinny Boys.
Dans votre
discographie, on remarque ce
split avec Skinny Boys. Et dans
le livret, on dénombre tout plein de participations diverses
et variées. La communication c’était
important pour vous ? Et maintenant, est-ce que tu cherches
toujours à briser la barrière musiciens/public ou
ne serait-ce que provoquer un échange ?
Le livret
d’un 45T, surtout lorsqu’il est
auto-produit, est l’occasion de citer ou de faire
connaître un tas de gens et nous
n’étions pas avares d’informations. Je
ne crois pas qu’il y ait une barrière entre les
musiciens et le public, juste des conventions de fonctionnement qui ne
sont pas toujours défendables au nom du bon sens, la chose
qui me semble la plus importante de part et d’autre est le
respect. Dans ce sens je crois avoir toujours la même
attitude sur le plan professionnel qu’il s’agisse
de théâtre, de spectacle de rue, de cirque ou de
musique, de technique ou d’artistique.
En plus de cette
communication dont vous
aviez l’air friands,
on remarque à certains moment une envie
d’internationalisation. Vous avez donc tourné en
Allemagne me semble-t-il. Est-ce que vous êtes
allés dans d’autres pays encore ? Comment
s’était montée cette
tournée ? Dans quels types de lieux
jouiez-vous ?
Nous
n’avons malheureusement jamais tourné en
Allemagne mais en Italie, au Pays Basque, en Espagne et en Suisse. Dans
des squats presque exclusivement. La tournée dans les squats
Italiens (à Rome, Naples, Florence et Turin) s’est
montée grâce à On a faim ! et
les gens de la revue Reflex(es), nous sommes d’ailleurs
partis avec le camion de Reflex (Réseau
d’études, de formation et de liaison contre
l’extrême-droite et la xénophobie).
J’ai écrit une sorte de
« chronique » de cette
tournée dans un numéro du zine On a
faim ! mais je ne me rappelle absolument pas lequel.
Et en France, quels
étaient les
endroits dans lesquels on
vous faisait jouer ?
Souvent
dans des squats mais aussi des festivals, des bars, des salles
de concert, des locaux associatifs. Nous avons malgré tout
été plus souvent dans des lieux dits
« underground » mais ce
n’était pas forcément un choix, nous
jouions là où les gens nous demandaient.
Vous repreniez des
chansons de groupes
étrangers sur
scène (Government Issue, Dead Kennedys, etc.). Ça
vous semblait important de montrer vos influences de cette
manière-là ?
Bien
sûr. Notre (relative) indigence musicale et une formule
en trio ne nous permettait pas d’aller franchement dans le
métal mais c’est résolument de ce
coté-là que notre cœur penchait, le
hardcore était un bon compromis, un punk-rock
influençait le résultat.
Et vous jouiez
aussi un chant traditionnel
Irlandais The Foggy Dew.
Pourquoi ça ? De quoi parle-t-elle ?
Il
s’agit d’un chant nationaliste irlandais
attribué à Peadar Kearney (l’auteur de
l’un des hymnes de la république
d’Irlande) et à Canon Charles O’Neill.
Il raconte une bataille de 1916 et encourage les Irlandais à
se battre pour leur liberté plutôt que pour les
Anglais (et c’était le cas de nombreux jeunes
Irlandais enrôlés dans
l’armée anglaise pendant la Première
Guerre mondiale).
J’ai toujours développé un
intérêt particulier pour l’Irlande et
son histoire. Certains personnages m’ont fasciné
depuis l’âge de treize ans comme Michael Collins.
Je conseille vivement sa biographie même si ma fascination
pour l’IRA s’est tout à fait
dissipée à sa lecture il y a donc fort longtemps.
Il y a un auteur Irlandais actuel dont j’ai
dévoré les bouquins, il s’appelle
Column Mac Cann.
D’ailleurs, la musique irlandaise semble avoir une grande
influence sur toi.
Je ne pratique plus que des musiques traditionnelles (avec une
énergie qui est cependant toujours la même que
dans le punk-rock), irlandaise et tzigane en l’occurrence.
J’aimais déjà ces musiques à
l’époque de Désert Culturel mais je ne
les pratiquais pas vraiment. J’ai vraiment
commencé à travailler la guitare en faisant du
jazz manouche avec un pote nommé Stéphane
Neidhardt qui est un passionné de Django et avec un musicien
strasbourgeois qui s’appelle Mandino Reinhardt, il y a
environ dix ans. C’est ce que je dirai à ma plus
grande fille de dix ans qui fait de la guitare classique quand elle
voudra monter un groupe de rock : fais-le si ça
t’amuse mais si tu veux bosser ton instrument, continue le
classique et le flamenco.
À ce propos,
tu joues dans un
groupe de musique
traditionnelle irlandaise si je ne m’abuse.
Tout
à fait, Blackwater est un groupe qui a une dizaine
d’années d’existence et que
j’ai intégré il y a six ans. Nous
enregistrons actuellement notre quatrième album et
effectuons entre 50 et 70 concerts par an. Dans Blackwater je chante et
je joue d’un instrument
« inventé » pour le
groupe et qui s’appelle le ponpon (quatre cordes seulement),
c’est une sorte d’hybride entre le banjo, le
bouzouki et la guitare et c’est un copain musicien de Spakr
et luthier de talent qui l’a réalisé,
il s’appelle Hervé Prudent.
Tant qu’on y
est à
parler de tes groupes actuels,
pourquoi est-ce que tu ne nous en dirais pas un peu plus sur
Spakr ?
Spakr est
une histoire d’amitié et de musique qui
dure depuis douze ans. Nous avons enregistré trois albums
à ce jour. Nous sommes six sur scène et jouons de
quatorze instruments, la base musicale du groupe se compose
d’une contrebasse, d’une guitare, d’un
violon, d’un accordéon, d’un saxophone
et d’un cajon sur laquelle viennent se greffer un
deuxième violon, une clarinette, un saz, un spakr (quatre
cordes nylon sur une boîte de Mont d’Or),
différentes darboukas, une sanza, un duf, etc. Nous chantons
parfois les six. Nous revisitons à notre sauce des
thèmes et des chansons traditionnelles tziganes et yiddish.
Nous définissons notre activité hebdomadaire par
« musique d’inspiration yiddish et
tzigane ». Nous composons les trois quarts de notre
répertoire actuel. Les chansons sont écrites par
Hélène (la violoniste) ou par moi. Ce sont des
textes d’abord écrits en français puis
traduits en croate, yiddish, serbe, russe, arabe littéral,
romani, manouche, roumain, hébreu et nos prononciations sont
corrigées pour être intelligibles. Cette histoire
m’a permis de développer une technique de
phonétique assez performante pour chanter dans une dizaine
de langues différentes et pour acquérir des
notions de base me permettant d’avoir des petites
conversations dans certaines. C’est assez prenant mais tout
aussi passionnant.
Spakr participe à un spectacle nommé Le Cabaret
tzigane que j’ai monté en 2002 avec des amis
circassiens et techniciens avec qui j’ai acheté et
remis en état un chapiteau de mille places en 2000.
C’est un spectacle à la frontière du
cirque, du théâtre de rue et du concert dans
lequel sont aussi impliqués une fanfare, un groupe
berbère et de nombreux artistes de rue ou de cirque... au
total environ 70 personnes. Nous avons une jauge de 1200 personnes par
soir (nous ouvrons les portes du site à 19 heures et les
fermons vers 3 heures) et nous occupons avec le campement la surface
d’un terrain de foot. C’est une aventure dont je
suis très fier, dans laquelle ma famille est
impliquée et qui se jouera probablement la prochaine fois
à Bourg-en-Bresse les 30 et 31 mai 2009. Quoi
qu’il en soit les infos éventuelles sont sur
www.spakr.com
Comment on en
arrive à jouer
dans deux groupes comme ceux-ci
avec un passif punk-hardcore ?
Il y a un
proverbe gitan qui dit: « Là
où va l’aiguille, le fil est sûr de
suivre », et un autre qui dit:
« Les merdes d’oiseaux ne tombent jamais
deux fois au même endroit. »
J’imagine que c’est une évolution qui me
correspond même si je ne renie rien. Je ne vois pas les
choses sous le même angle qu’à
l’époque et je ne fais pas les mêmes
choses. Mes priorités sont différentes. Cela dit
il m’arrive encore de temps en temps de prendre une guitare
électrique à des potes en concert en toute fin de
soirée mais pour cela j’ai besoin
d’avoir au moins un gramme cinq d’alcool dans le
sang et d’y être invité.
Vous vous
considériez comment
avec Désert
Culturel à l’époque ?
DIY ? Indépendants ? Radicaux ?
Je ne sais
pas ce que signifie DIY, indépendants
certainement, radicaux ça dépend pour qui.
Nous ne nous considérions pas autrement que comme des gens
qui avaient envie de s’exprimer et à ce
moment-là notre mode d’expression était
le rock’n’roll.
Vous étiez
distribués
par New Rose, aviez un code
barre, ce qui pour moi ne correspond pas tout à fait
à l’idée que je me fais du DIY. Si
jamais vous aviez eu l’opportunité de signer sur
un plus gros label vous l’auriez fait ou vous
étiez tout de même farouchement
attachés à tout faire avec vos potes de On a
faim ?
Je ne sais
toujours pas ce que veut dire DIY. Pour répondre
à ta question, je ne sais pas, en tout cas cela ne
s’est pas produit. Je pense que nous étions
suffisamment impliqués avec On a faim ! pour ne pas
avoir envie de fonctionner avec d’autres. Au final, lorsque
Rabin a décidé d’arrêter le
groupe et que l’album est sorti, j’ai
été pris par un très vif agacement
vis-à-vis de toute la mouvance militante, musicale ou autre.
Cela s’est traduit grosso modo par un black-out du jour au
lendemain et tu es sans doute le premier contact que j’aie eu
avec cette mouvance depuis ce temps-là. Je regrette juste
d’avoir coupé les liens avec les gens de On a
faim ! et deux-trois potes de l’époque,
mais je me dis que je finirai bien par les recroiser avant de passer
définitivement en mode confiture.
Avec Spakr, vous
pratiquez de nouveau
l’autoproduction. Choix
délibéré ou
nécessité ?
Nous avons
été
référencés à la Fnac
pendant environ un an avec le deuxième album ce qui a
représenté la vente d’environ 2500
exemplaires. Nous avions un contrat nous liant avec un producteur qui
est décédé depuis et qui n’a
jamais rempli les cases lui permettant d’accéder
au statut d’éditeur. Nous ne le savions pas et les
distributeurs nous ont dit que nous n’avions pas
d’existence contractuelle vis-à-vis
d’eux. Quand tu te prends l’équivalent
des royalties sur 2500 albums vendus dans le cul tu te dis
premièrement qu’il faut apprendre à
négocier correctement avec ce genre
d’en...treprises et, deuxièmement, que le temps de
réviser tes notions de propriété
intellectuelle on n'est jamais aussi bien servi que par
soi-même, fin du bal. Tout ça n’est pas
bien grave et quand bien même nous avons
été parfaitement blaireaux sur ce
coup-là, nous ne faisons pas partie de ce groupe pour nous
acheter des piscines (ça serait plutôt des sacs de
ciment ou du parquet flottant dont la plupart d’entre nous
aurait besoin en ce moment) mais on ne nous la fera pas deux fois.
Et comment
c’était le
passage à France
Inter ?Dans quelles
conditions ça s’est fait ?
Est-ce que tu crois que tu l’aurais fait avec Tresed
Leretluc ?
Tu parles
sans doutes de l’émission Le Fou du roi
avec Blackwater... C’était très bien
même si l’impression de faire neuf heures de camion
pour quatre minutes d’antenne est une chose très
particulière. Ce passage nous a fait connaître par
beaucoup de gens et fut d’un impact indéniable.
C’est assez intimidant parce qu’une fois les
balances faites on t’appelle trente secondes avant le morceau
et il faut envoyer direct mais l’expérience est
sympa, toute ta famille te téléphone dans la
demi-heure qui suit, ma grand-mère était
contente, moi aussi.
Si on nous l’avait proposé du temps de
Désert, ce dont je doute fort, je pense que nous y serions
allés, bien entendu. Je ne peux peut-être pas en
dire autant pour Fun Radio mais il y avait encore moins de chances pour
que ça se produise...
À
côté de
vos albums
distribués dans un circuit très classique et pas
tout à fait « hors
marchés » (d’ailleurs il
existait le circuit des petites distros DIY-non profit comme il pullule
aujourd’hui ?), vous sortiez aussi pas mal de k7
live (et autres). Pourquoi ? Tiens, oui, pourquoi ?
Les K7 live
sortaient parfois toutes seules et parfois les gens avaient
la politesse de nous demander l’autorisation avant... Quoi
qu’il en soit nous n’avons jamais refusé
ni sorti le fusil.
À des compilations de soutien à quelques luttes
vous participiez aussi. La musique, c’est politique ?
La politique, c’est comme la soupe au potiron, ça
n’a pas le même goût quand tu
l’achètes en sachet et quand tu fais pousser les
légumes dans ton propre jardin. Je n’ai pas
grand-chose de significatif à dire de plus sur le sujet.
Un autre aspect de
Désert
Culturel, c’est le
côté théâtral. Les pochettes,
avec les références flagrantes à la
comedia dell’arte, les textes me faisant parfois penser
à de longs monologues… c’est un truc
qui vous tenait à cœur ?
Oui, la
plupart des textes de Désert étaient
précisément écrits comme la parole
d’un personnage particulier, différent
à chaque chanson. Le logo de Désert
était un masque de Brighella qui est pratiquement le seul
personnage ou caractère ambivalent dans la comedia
dell’arte (gentil, naif, héros par accident ou
foncièrement méchant).
J’ai cru
comprendre que tu
étais
impliqué là-dedans en ce moment. Tu fais quoi
exactement ? Sur quelle(s) pièce(s)
travailles-tu ?
Je suis
impliqué dans le spectacle vivant depuis 20 ans avec
une prépondérance dans les arts de la rue. Je
suis technicien du spectacle, régisseur
général, régisseur plateau, rigger,
cariste, monteur de chap, metteur en scène ou en rue, scaff,
machiniste, electro, etc. Je bosse pour des scènes
nationales, des CDN, des communes, des salles, des compagnies (Transe
Express mais j’ai arrêté, Tricyclic
Doll, Les bains douches, etc.), des festivals (Chalon dans la rue
depuis 1993, notamment) et des structures dans lesquelles je suis
impliqué (Les Baltringues, L’Étoile
cirée, Le Cabaret tzigane). C’est mon boulot, avec
la musique.
Les textes des
paroles étaient
‘achement bien
écrits, engagés et enragés,
conscients, imagés tout en restant percutants et directs
comme un coup de poing, ouch ! C’est quoi le secret
de paroles réussies ?
Merci
beaucoup pour ces compliments, c’est très
gentil mais je ne suis pas sûr de les mériter. Je
ne sais pas quoi répondre si ce n’est que
d’innombrables très belles chansons ont
été écrites et qu’une vie ne
suffit sans doute pas à les écouter toutes.
Rester curieux, écouter, voir, lire, beaucoup, tout le temps.
Et quand tu
t’adressais
directement à
l’auditoire via ces paroles, c’était
pour provoquer des réactions ?
Pas
nécessairement, non. Lorsque tu choisis un mode
d’expression avec conviction, tu ne le fais pas pour plaire
ou pour provoquer quoi que ce soit, ça fait partie
intégrante de ton fonctionnement, pour le meilleur et pour
le pire. En ce qui me concerne, le chant (même si en
réécoutant ça je suis content du
chemin parcouru depuis) et la gratte ont une dimension physique sur
scène et en studio qui agissent comme une drogue,
à ceci près que je ne me drogue pas
au-delà du pétard, de la bouffe, de
l’amour et du travail. Je fais des choses que
j’aime assez souvent et je considère que
c’est un cadeau de la vie.
Aujourd’hui,
quel
regard
portes-tu sur cette
époque ? Sur cette période de ta
vie ? Qu’est-ce que tu as pu en retirer ?
Des moments
magiques, des bonnes galères, des sourires, des
bonnes cuites, des tas de gens excellents et des brouettes de cons
(comme dans n’importe quelle sphère), des
pratiques, des réflexes, de
l’expérience. Je ne ferais pas les mêmes
choses aujourd’hui mais avant de connaître certains
raccourcis il faut prendre la route des touristes.
C’était bien, je ne juge pas
négativement cette période et je n’ai
aucune rancune.
Qu’est-ce
qui t’a
poussé à
quitter cette
« scène »-là ?
Marre ?
Oui. Vraiment. Ce qui m’a permis de ne pas sombrer dans la
parano ou le cynisme c’est de bosser avec des gens de cirque
ou de la rue pendant une dizaine d’années.
J’avais de l’énergie et
j’avais côtoyé trop de grandes gueules,
j’ai définitivement épousé
la route, la ferraille, les chaps, les camions, les projets de longue
haleine, les silences, ces saloperies de chevaux, l’amour du
travail bien fait, le respect de la parole donnée, le
partage de l’effort. J’ai eu deux mômes
splendides, j’ai un taf qui m’emmène sur
les routes les deux tiers de l’année et qui me
permet de ne pas voir les mêmes tronches tous les jours, de
perdre ou de prendre dix kilos selon les chantiers, de vivre en vrai.
C’est pas toujours simple, mais j’arrive
à avoir une vraie famille et c’est plus important
de réussir ça que d’avoir de grands
idéaux. Je ne voterai jamais mais je ne laisserai jamais mes
proches dans la mouise. C’est un choix qui se
défend.
Mais le plus
important, ce sont bien les
idées, non ?
Non, les
idées ne suffisent certainement pas. On te jugera toujours
sur des actes et tu te jugeras toujours toi-même au final sur
tes accomplissements, petits ou grands.
Et les deux autres
loulous, tu les vois
toujours ?
Oui,
très régulièrement.
Bon bin
voilà…
finito, over, fini. Et last but not least, dis tout ce que tu veux,
quelle que soit la place que ça prendra !
Merci
à toi pour ton intérêt,
c’était touchant de replonger dans cette
époque.
Au plaisir de te croiser sur la route. Taves baxtalo.